mercredi 16 mars 2016

Semaines 8, 9 et 10 : un bon rythme de croisière…




La semaine du 22 février s’est avérée assez chargée et emblématique d’une semaine intéressante, comme je les aime !

Dès le lundi matin, j’ai eu un coup de stress. En effet, nous avions convenu avec l’inspecteur que je verrai plus régulièrement les enseignants de collège voisin et j’avais proposé de les voir la première semaine de mars pour parler du comportement des élèves en classe en lien avec la gestion de classe. Vers 9h30, l’inspecteur m’annonce que je verrai dorénavant les enseignants tous les lundis de 15h à 17h et que la première séance aurait lieu l’après-midi même ! Heureusement que j’avais déjà jeté les bases des points que je voulais présenter, mais autant dire que le reste de la matinée et tout le temps jusqu’à 14h15, moment où je suis partie à pied pour aller à l’école, ont été laborieux ! La séance a été assez instructive, mais les enseignants n’ont pas oublié de me rappeler que ces séances de travail n’étaient pas prévues sur le calendrier, qu’ils avaient beaucoup à faire (une d’entre eux par exemple enseigne l’après-midi dans une école publique !) et que, vu les salaires non payés, c’était vraiment difficile…opinion que je comprends très aisément ! J’ai tout de suite pu leur annoncer que nos réunions seraient hebdomadaires dès le mois d’avril mais qu’en attendant je ne les verrai que ce jour et le 7 mars et ce pour des questions d’organisations déjà mises en place ! Pour finir, le 7 mars, la séance a été annulée, car tous les enseignants ou presque se rendaient à un enterrement. Dès lors je les retrouverai en avril et on verra quel rythme de séance nous pourrons avoir !!!!

Lors de cette séance, sans le directeur et sans inspecteur à ma demande, les enseignants ont tous reconnus que, malgré l’interdiction émise par l’Etat, « les enfants les obligent à leur donner des coups de fouet » afin qu’ils obéissent. Je me suis permis de reprendre cette formulation, car je ne pense vraiment pas que ce sont les élèves qui obligent les enseignants à les frapper ! Cette pratique est encore très courante et les autorités le savent, j’ai même été témoin auditif à la maison de coups de ceinture (ou autre ?) donné par la mère à un de ses enfants. J’ai beaucoup de peine à accepter cela, même si je sais qu’ici c’est une pratique courante et « admise ». Une autre punition des enseignants est de faire mettre l’enfant à genoux à côté du pupitre, je leur ai rappelé que c’est devant Dieu qu’on s’agenouille, les enseignants sont-ils Dieu ? Je vais avoir beaucoup de travail pour leur faire comprendre la différence entre punition et sanction, crainte et respect de l’enseignant ... :-( En contrepartie de l’abandon de ce qui pour moi sont des humiliations, je dois leur donner des outils et des idées pour apprendre à faire autrement. J'ai heureusement pu leur lire des extraits de témoignages d'enseignants haïtiens qui ont été mis en page par Céline Nérestant dans le journal de l'Educateur et leur montrer ainsi qu'il est possible de changer.
                                                                                                                                                             Le mardi, j’ai eu la joie d’aller visiter l’école David : 1h20 de voitures sur des chemins défoncés avec, pour la première fois, la vue du brouillard sur la rivière dans la vallée et un petit arrêt pour dégager les troncs qui empiètent sur la route !

Nous nous sommes arrêtés au CREP de Laferme que nous avons visité afin de saluer les enseignants et les élèves. 















Puis, laissant la voiture parquée dans la cour de l’école, nous avons eu 1h20 de marche pour atteindre le village de montagne de David. Un sentier avec relativement peu de montées/descentes, car nous longions les flancs des montagnes, mais une quantité incroyable de cailloux, plus ou moins gros, roulant sous mes petites basketts de tissu. Pas très confortable et encore moins quand tu oublies de mettre des petites chaussettes…Une cloque sur chaque gros orteil au retour ne m’ont pas facilité le trajet ! Enfin, un des inspecteurs avait de grandes jambes avait un rythme rapide que mes petites enjambées avaient du mal à suivre, ce d’autant plus que devant les magnifiques paysages, je me suis arrêtée régulièrement pour prendre des photos ! 






Ce sentier était très fréquenté, car c’était jour de marché à Laferme, nous avons donc croisé de nombreux villageois, des ânes bien chargés et quelques motos téméraires. Quand j’ai vu que la plupart des personnes avaient des petites sandales, des tongues ou aucune chaussure, je me dis que je ne peux pas me plaindre de mes basketts ! Il y a aussi certains élèves qui font tous les jours ce trajet pour aller à l’école soit entre 2h-3h de marche par jour ! Cela me conforte dans ma compréhension de l’absentéisme des élèves les jours de pluie ! Je n’ai pu m’empêcher de penser au dernier courrier reçu en tant que directrice l’été dernier, copie de la lettre de 5 parents d’élèves se plaignant à la direction générale de l’enseignement primaire que je m’étais permise de mettre des enfants d’une même fratrie dans deux bâtiments différents de l’établissement à moins de 200 m l’un de l’autre….. Pas de commentaires !   
          
L’école de David est composée de plusieurs bâtiments : un grand bâtiment, d’une salle unique avec trois murs à mi-hauteur afin de séparer 4 classes (1-2-4-5èmes) d’une soixantaine d’élèves à chaque fois. Comme le nombre de bancs est insuffisant (mais dans certains espaces, il n’y a pas plus de place), les élèves sont serrés les uns contre les autres et ont à peine la place pour écrire. Les élèves sont nombreux, car c’est la seule école au village, il n’y en a pas d’autres jusque Laferme. Pas  vraiment de fenêtres, mais un espace entre le toit et le mur pour laisser la lumière entrer des espaces/ porte pour l’évacuation. Un deuxième petit bâtiment avec la classe de 6ème et le petit de l’inspecteur. Enfin, l’église, dont les murs sont partiellement démolis, où se regroupent une classe de 3ème et les deux groupes du préscolaire. J’ai assisté à un moment de leçons dans chacune des classes du grand bâtiment, j’ai vu la distribution des repas de la cantine (riz et sauce) aux élèves (classe à tour de rôle afin de pouvoir réutiliser les assiettes et les cuillères) et nous avons eu un échange avec les enseignants de 12h à 13h. Enfin, la femme du directeur qui nous avait déjà préparé une collation à notre arrivée, nous a reçus chez elle pour un repas avant de reprendre le trajet du retour.




Le bâtiment principal avec ses quatre classes

















 Les deux classes du pré-scolaire dans l'église avec le mur de côté effondré !

Comme dans chaque école hors de la ville, le souci majeur des enseignants est le problème du retard des salaires, mais aussi du matériel manquant pour les élèves, que cela soit celui fournit par le BEMHEG (bureau des Eglises Méthodistes d’Haïti pour l’éducation générale) ou celui que les élèves doivent fournir. J’ai constaté que le problème du crayon manquant est répétitif comme je l’avais déjà constaté en Asie ou en Afrique. A David, j’ai vu les enfants d’une fratrie, n’ayant qu’un seul crayon pour tous, circuler d’une classe à l’autre pour se le passer ! Dans cette école, les enseignants ont juste un tableau noir à disposition, une petite table pour eux et pas d’armoires. Le matériel (par exemple les livres de lecture) est collecté en fin de matinée et déposé dans le bureau du directeur jusqu’au lendemain, car c’est le seul endroit qui a une porte qui peut être fermée à clé ! 

Les vendredis 26 février, 4 et 11 mars, j’ai donné à nouveau la formation « apprentissage du français-la lecture ». A chaque fois, ce sont une trentaine ou plus d’enseignants de 4-5 écoles différentes qui étaient présents. Le lundi 29 février, j’ai redonné la formation sur l’évaluation, mais cette fois aux directeurs du circuit de Léon et aux directeurs et conseillers pédagogiques des CREP. Je constate une fois de plus qu’il est très difficile de faire participer les personnes quand ils sont une trentaine…ils comptent toujours sur les autres pour s’exprimer à leur place. Comme à chaque fois, je suis vraiment remerciée pour mon intervention, mais je reste toujours dans le doute de savoir ce qui a été compris et ce qui va être retenu et appliqué.

Sinon, entre temps, j’ai préparé un résumé de la méthode Sodis, méthode désinfection de l’eau par irradiation scolaire, afin de la promouvoir lors de mes prochaines formations tout comme le système de la bouteille lumineuse (https://www.youtube.com/watch?v=vx_ca8kDIiM), deux moyens simples pouvant améliorer les conditions de vie des villageois. Je pense que j'ai préparé un jeu de ces documents pour tous les directeurs d’école afin mieux les faire connaître. Je continue aussi à préparer des documents de travail pour l’élaboration des examens trimestriels en français et en mathématiques et commence à envisager le contenu de la deuxième journée de formation avec les enseignants qui sera certainement centrée sur la production écrite. Je ne m’ennuie donc pas ! 

A propos des copies, je m’aperçois, comme aux Philippines, que notre format de papier A4 (hauteur 29,6 cm) n’existe pas ici !!! Soit il y a les copies normales (qui sont moins longues, 27,9 cm) soit les copies longues (soit 35,5 cm). Je pense que cela vient de l’utilisation des mesures anglaises. Le papier A3 est également introuvable.

Comme d’ici fin avril, j’aurai fini la première formation pour tous les enseignants et les divers documents cités ci-dessus, j’ai demandé une rencontre avec les trois inspecteurs afin de faire le point à mi-parcours et voir ce que je vais faire pour la suite. Je ne sais pas quand je les verrai, mais je suis en attente… En effet, en terminant la neuvième semaine, j'étais à un tiers de mon séjour et comme je vais m’absenter deux semaines, à mon retour fin mars, cela sera déjà la moitié !!!

Juste avant de partir en congé, les inspecteurs m'ont appris que la semaine de la reprise le 28 mars sera une semaine de formation pour tous les enseignants avec la venue de formateurs de Port-au-Prince. Les élèves auront donc une semaine de vacances supplémentaire ! Je participerai à cette formation dont personne n'a, pour l'instant, une idée du contenu ! Cela nous oblige aussi à déplacer une formation prévue et il faudra nous débrouiller pour trouver une autre date. Mais comme d'habitude tout est encore aléatoire !

Lors de mes différents déplacements pour aller dans les écoles, le Pasteur Exantius met son pick-up à disposition avec un chauffeur ou nous conduit lui-même en effet, il est le surintendant des écoles de Léon et est aussi intéressé à venir visiter des écoles. Heureusement le BEHMEG lui verse de l’argent pour l’essence afin qu’il rentre dans ses frais. Quand il conduit lui-même, nous écoutons des CD de chorales religieuses avec de beaux chants, mais je découvre qu’il existe aussi des CD de sermon (ou de prédication ?) de pasteurs enregistrés en direct dans des églises et qui peuvent parfois durer une heure ! Soyons honnêtes, ce ne sont pas mes CD préférés…. Cela fait beaucoup penser à ce qui se passe aux Etats-Unis avec une façon de parler très fort, des cris, etc. Comme je travaille au sein des écoles méthodistes, lors de chaque formation, nous commençons et finissons par un chant religieux et une prière. Enfin, quand je parle avec toutes ces personnes, je suis toujours étonnée de voir que le mot « demain » s’accompagne automatiquement de « si Dieu veut », par exemple : à demain si Dieu veut ! De même que toute phrase se rapportant au passé est accompagné de « grâce à Dieu », par exemple : j’ai bien dormi cette nuit grâce à Dieu.
Moi qui ne suis pas croyante, ces innombrables références me surprennent tout comme, lors des messes ou lors d’échanges avec les directeurs, d'entendre que Dieu permettra l’amélioration de la situation difficile. Je respecte les opinions de chacun, mais il m’est parfois malaisé de donner un sens à tout cela.

A propos du créole, je dois dire que je peine à progresser….Je le comprends de mieux en mieux, mais j'ai de la difficulté à m’exprimer. Je fais des découvertes sur la langue : par exemple,  il n’y a quasiment pas de déterminant et très rarement devant le mot, au lieu de dire « la maison », ils disent « maisonla ou cayela ou cayemouew » (ma maison), on dit aussi penséesnous pour nos pensées. Le « il » se dit « li », un homme un moun, un enfant un petit moun. Pour la conjugaison des verbes, c’est en fait le pronom + le verbe à l’infinitif+ un mot qui indique la temporalité (présent, passé, futur). Par rapport au français, tous les r en fin de syllabe disparaissent : bonsoi, bonjou, mato (pour marteau) et les sons sont simplifiés (eau, au et o sont toujours o en créole !).
Il y a aussi de « savoureuses » expressions usuelles : quand tu souhaites « Bonne journée ! », on va te répondre « partagé  ou réciproquement », il est rare qu’on te dise « à toi aussi ». Quand tu oublies de faire quelque chose, tu ne dis pas « j’ai oublié de…. », mais « on dirait que j’ai oublié de …. ». Voilà cela se fait peu à peu et j’ai encore 4 mois pour progresser ! Par contre, je continue à m’exprimer en anglais avec les groupes d’américains qui logent au guest-house, il y a eu trois groupes en 7 semaines qui restent environ une dizaine de jours.

Voilà, le 13 mars, je partirai en Artibonite (au centre du pays) pour partager une semaine avec Céline Nérestant et puis visiter une petite semaine Cap Haïtien et sa région. Je vais voyager en bus et prévoit deux jours pour l’aller et deux pour le retour avec une nuit à Port-au-Prince à chaque fois.

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite une très belle continuation.
Cordialement.
Ariane

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