lundi 8 février 2016

Semaines 4 et 5 : je m’installe !





Me voilà de retour pour quelques nouvelles après deux semaines supplémentaires passées à Jérémie. Peu à peu, je me mets au travail et c’est avec beaucoup de plaisir que je découvre mes tâches. Pour rappel, je suis ici en tant qu’encadreur pédagogique pour les circuits de Jérémie et de Léon. Je souhaite donc travailler non seulement avec les trois inspecteurs, qui sont également coordinateurs pédagogiques, mais aussi avec les enseignants et les directeurs d’école et mes vœux se réalisent…

Vendredi 29 janvier, j’ai eu ma première petite réunion (1h) avec les enseignants du collège Jean Wesley. Ce dernier étant attenant à mon bureau, je pense que c’est avec eux que j’aurai le plus de contacts. L’objectif de cette réunion était de voir quels seraient leurs besoins par rapport à leur gestion de classe. Sans surprise, outre des besoins pour certaines disciplines, ils ont de la difficulté à gérer la différence des niveaux entre les élèves et surtout les problèmes de disciplines….Pas de doute cela me rappelle quelque chose !

Vendredi 5 février, j’ai rencontré pendant 4h les directeurs du circuit de Jérémie et nous avons échangé sur le thème de l’évaluation et de la taxonomie de Bloom. Cette séance a été très intéressante et nos échanges ont été nombreux. A partir de maintenant, je vais avoir, au minimum, des rencontres de 4h, tous les vendredis jusqu’à fin juin, afin de rencontrer tous les directeurs et les enseignants de la petite quarantaine d’école. A priori, je vais intervenir sur l’apprentissage du français et reprendre ma séance sur l’évaluation. Ensuite, j’espère avoir des rencontres sur demande pour des sujets déterminés…J’ai donné mon numéro de téléphone à tous ceux que j’ai rencontrés et me suis mise à disposition les après-midis, les samedis et autres si nécessaire. C’est donc parti et cela me réjouis ! J’espère que je pourrai leur apporter de l’aide, mais il est déjà sûr que pour moi l’expérience va être riche !

Je ne sais pas dans quelle mesure les enseignants seront preneurs de formations facultatives. En effet, les conditions de vie ici sont assez difficiles, encore plus dans les montagnes et souvent ils n’ont pas reçu leurs salaires depuis plusieurs mois (certains depuis novembre, mais parfois c'est 7 mois de retard !), certains cumulent donc d’autres activités pour faire vivre leurs familles. Des enseignants sont partis travailler dans le public, car ils sont mieux payés et plus régulièrement. Il y a également des associations méthodistes américaines qui ont versé certains retards de salaires, c'est pour cela que tout est en ordre jusqu'octobre !. Ce souci financier limite également les engagements et j’ai vu une classe de première et deuxième année préscolaire (3-5 ans) de 55 enfants pour une jardinière d'enfants (formation nécessaire pour les 3 années préscolaires !) ! Que faire à part de la garde ? Ce d’autant plus que l’enseignante est encore en formation. J’ai par contre constaté qu’il y a des écoles publiques et privées partout, même en montagne. Dans la rue où je travaille, donc en ville, sur 200 m, il y a trois écoles publiques et une école privée !

Les derniers 100 mètres du chemin menant.....





... à l'école de Léon ! 








 
Pour fréquenter une école méthodiste, les parents doivent payer un écolage qui varie selon la localité : en montagne, l’écolage est entre 500 et 600 gourdes (12.- CHF)  par année et ce jusqu’en 9ème année et en ville cela peut atteindre 5'000 à 6'000 G/an (jusqu’au baccalauréat). Pourtant, beaucoup de parents n’arrivent pas à payer cet écolage et lors d’une de mes visites à l’école de Léon, en montagne, les classes qui ont habituellement jusqu’à 60 élèves en primaires et 30 élèves pour la 7ème à 9ème étaient à moitié vides, car le directeur venait de renvoyer tous les élèves qui n’avaient pas encore payé leur écolage. Vu le nombre d’élèves, j’ai demandé s’il ne serait pas possible de dédoubler les classes (seule la 1ère année a deux enseignants en classe pour les 67 élèves !), mais ils pensent que c'est impossible, car certains enfants marchent plus d’une heure pour venir à l’école. Je pense surtout que le souci est aussi de payer les enseignants…comment les payer le double avec le même total d’élèves alors qu’ils ne sont déjà souvent payés que difficilement ? La distance pour aller à l’école fait aussi que s’il pleut, très peu d’élèves vont venir et cela se comprend aisément ! Si certaines classes sont magnifiques, car récemment construites ou rénovées par l’EPER, d’autres écoles sont surpeuplées et vieilles : des locaux sombres, des bancs et des tables prévus pour deux ou trois où se serrent 6 petits élèves, une armoire et un bureau d’enseignant souvent détériorés, un matériel manquant pour un grand nombre d’enfants…. Les écoles ont de grands besoins, surtout dans cette province ! Souvent des plans de rénovation et/ou d‘agrandissement existent, mais l’argent reste toujours introuvable ! Il semblerait, heureusement, que certains circuits fonctionnent mieux, mais la région de la Grande Anse est le bout du monde pour les Haïtiens !


En ce qui concerne les évaluations, les enseignants peuvent faire passer des tests mensuels, mais il y a des examens trimestriels qui sont les mêmes dans chaque classe du même degré pour les deux circuits. Ces examens sont préparés par des enseignants désignés et mis en forme définitive par le bureau des inspecteurs. Les élèves reçoivent un coefficient pour chaque discipline (nombre de points obtenus sur le total). Il y a 14 tests pour les 9-12 ans à chaque trimestre (lecture française, grammaire-conjugaison, vocabulaire-orthographe, communication orale, production, communication créole, numération, opérations, mesures, proportions, histoire, géo, sciences expérimentales, éducation biblique) et à partir de tous les coefficients, l’élève a une moyenne générale située entre 1 et 10. Dans les écoles publiques, la moyenne minimale à avoir est 5, mais c’est 6 dans les écoles méthodistes, même s’il peut y avoir des dérogations pour les élèves avec des moyennes entre 5 et 6 en fin d’année. A chaque fin de trimestre de 10 semaines, les élèves ont 10 jours d’examens, puis la remise des carnets et les vacances (Noël, Pâques et été). 

En ce qui concerne l’équipe qui travaille au bureau avec moi, les personnes sont très sympathiques. J’ai déjà souligné qu’il n’y avait pas d’électricité dans le bâtiment, mais j’ai aussi remarqué qu’il n’y a pas d’eau courante non plus, malgré les lavabos installés ! Comme pour la plupart des bâtiments de la ville, les habitants remplissent de grands seaux en plastique à des tuyaux, du type tuyau d’arrosage, qui émergent à intervalle régulier devant les maisons dans la rue. Autant dire que cette eau ne doit pas être bue sauf bouillie. Ici aussi, comme dans les différents pays visités, les habitants achètent des sachets d’eau pour se désaltérer ou des bouteilles de limonades mais qui sont assez chères pour eux (environ 50 centimes).
Le rythme de travail au bureau est représentatif de l’idée que l’on se fait des fonctionnaires : arrivée entre 8h30 et 9h (voir 9h30 selon les jours), souvent une sieste pour certaines employées administratives dans la matinée (qui peut durer une heure), la lecture du journal et la pause de 30’ à midi avant de finir à 14h…. Quand l’inspecteur a vu les documents que j’ai préparés depuis mon arrivée, il m’a demandé si je travaillais toutes les nuits !!!! Pourtant si je travaille de 8h à 13h sans prendre de pause, je travaille relativement peu à la maison, car les devoirs des enfants de la famille et quelques jeux avec eux m’occupent bien ! Il faut aussi dire que je travaille sur mon ordinateur et donc écris vite alors qu’eux écrivent tout à la main.

Lors de ces premières semaines à Jérémie, j’ai souvent repensé à mes expériences au Burkina Faso et au Mali, car j’ai vu plusieurs similitudes et cela m'a confirmé que la situation aux Philippines et au Sri Lanka est plus favorable. Par rapport à Port-au-Prince, on ressent très fort que nous sommes en province et Jérémie est considéré un peu comme le bout du monde. En effet, si la route a été améliorée, il faut 7h pour venir de la capitale (avant il en fallait 12), et comme il n’y a pas d’intérêts spéciaux à venir ici, rares sont les Haïtiens à venir. Ici, pas de grands supermarchés comme j’ai vu à Pétion-Ville, il y a des supermarchés (par opposition au marché et aux vendeurs de rues), mais plus petits que les petites Coop de mon enfance ! Le choix est très restreint et il n’y a que les produits de grandes nécessités. Par exemple, vous avez le choix entre la confiture aux tomates et celle aux chadèques (sortes d’agrumes, très bonne confiture assez douce), une sorte de céréales (corn flakes), de la « Vache qui rit » comme fromage, de l'huile, quelques boîtes de conserve,.... Pas ou peu de produits surgelés ou au frais, car ici l’électricité ne fonctionne souvent pas entre 23h et 5h et de 7h à 17h sauf le dimanche où nous l’avons quasiment toute la journée. Le soir, j’entends toujours un bruit de moteur qui me fait penser aux grandes moissonneuses-batteuses que j’entends l’été depuis chez moi, mais ici il s’agit du gros générateur qui donne l’électricité à la ville. Il y a souvent de petites coupures et des variations d’intensité assez remarquables ! 


Profitant du déplacement d’un groupe d’américains qui ont séjourné une semaine au guest-house, j’ai été avec eux me baigner dans la mer à Bonbon (nom du village). Il nous a fallu plus d’une heure pour faire les 10km de distance, car la route était dans un état incroyable, cailloux, petites rivières à traverser, gros trous, etc.. Mais la mer était très agréable et il y avait de belles vagues.


















A chaque trajet fait dans les environs, je me dis que si je prenais une boîte avec des œufs cassés et un peu de sel, j’aurais des œufs en neige à l’arrivée !!! Pourtant tout au long de la route, les constructions s’alignent. Des maisons en brique pour les plus riches, des maisons en bois pour les autres, car il faut d’abord enlever les arbres pour avoir un espace de construction. Il y a de nombreuses constructions en cours et d’autres qui semblent abandonnées ! En allant à Bonbon, j’ai aussi découvert l’aérodrome, ou plutôt le champ d’aviation, de Jérémie : les ânes et les chèvres paissent paisiblement sur la piste d’atterrissage, un seul petit bâtiment de brique pour accueillir les passagers. Ce sont des petits avions de de10 passagers qui peuvent atterrir, mais il n’y en a pratiquement plus qui viennent. Les américains sont repartis en avion, car ils ont fait un forcing puisqu’ils remplissaient un avion à eux seuls. Il y aurait un projet de réaménagement de l’aérodrome, mais personne ne sait quand il se fera. Lors de ce trajet épique, j’ai beaucoup ri en voyant tout à coup, sorti de nulle part, un panneau indiquant le nom d’une rue et précisant qu’il s’agissait d’une impasse ! 



Ci-dessus, à gauche la piste d'atterrissage avec le bétail et sa manche à air, ci-contre le bâtiment de l'aéroport.....









 



Lorsque j’ai été à Léon, nous avons mis plus d’une heure pour faire les 18km, alors que la moitié était goudronnée, mais le 4x4 a été nécessaire pour le reste du voyage ! Heureusement que le conducteur était habile ! 














En roulant dans ces montagnes très arborisées et/ou très rocheuses, je me demande comment peut s’en sortir ce pays. Difficile de vivre de la culture, car la terre n’est pas une terre très productive, pleine de cailloux et de déchets. Pour que des entreprises ou du tourisme s’installent, il faudrait des investisseurs, car ceux-ci sont rares dans le pays, mais une fois le terrain trouvé, la construction faite, comment faire alors que les moyens de communication sont aussi mauvais ? Il faudrait tout prendre en charge, ce qui est juste impossible ! Une des grandes priorités du peuple est de limiter la corruption et les détournements de fonds, car ce qui s’est passé à la suite du tremblement de terre il y a 6 ans est flagrant ! Seules les petites associations qui viennent sur place et qui ont des contacts directs apportent réellement une aide qui est tant nécessaire. :-(

La famille avec laquelle je vis est très sympathique aussi. Il y a Emanette, la mère, Mitsy, qui vient d’avoir 11 ans et qui est en 6ème, Johanan, qui vient d’avoir 9 ans et qui est en 4ème, Chris-Hanan qui a 6 ans et est en première. Le père, pasteur et surintendant du circuit de Jérémie pour l’église méthodiste haïtien (écoles, églises, ….), est actuellement en train de suivre des études en Angleterre pour un an. Je le rencontrerai pendant 3 semaines en mars. 
















Emanette se lève vers 5h30 et réveille les enfants entre 6h et 6h30 (s’ils ne sont pas déjà réveillés, vu qu’ils dorment tous dans la même chambre). A 7h30, les enfants et moi prenons le déjeuner dans la salle à manger alors qu’Emanette mange dans la chambre. Un chauffeur nous amène à l’école et au bureau à 8h. Les enfants et moi rentrons avec lui à 13h et nous mangeons vers 14h-14h30. Les deux repas sont préparés par les cuisinières. Ensuite, nous attaquons les devoirs qui, certains jours, prennent presque 2h, car les enfants doivent apprendre un certain nombre de choses par cœur et c’est souvent donné un jour pour le lendemain. Le soir, il n’y a pas de souper et chacun mange ce qu’il a envie quand il en a envie. En général, les garçons mangent un bol de céréales, Mitsy une tartine de beurre de cacahuètes sur lequel elle ajoute de la confiture de chadèques. Moi, je prends des corn flakes avec une banane, une tartine de fromage "la vache qui rit". Emanette ne rentre jamais du travail avant 15h, elle mange donc seule son dîner et ne soupe pas, car elle repart à de nombreuses réunions ou répétitions de chorale ou est en grande conversation téléphonique.
Le matin, c’est parfois difficile pour moi, car les enfants ont 1-2x par semaine des spaguetti avec lesquels ils mélangent de la banane. Moi qui dois déjà me forcer à manger le matin, ça c’est impossible ! Un ou deux matins, nous avons de la bouillie, sorte de porridge doux, et parfois une omelette avec oignons et tomates. Le pain est en général du pain toast ou des sortes de pain à hamburger, parfois il y a du pain grillé (biscottes), confiture, beurre de cacahuète et petits fromages…Une bonne flûte croustillante sera un de mes premiers repas à mon retour ! A midi, il y a du riz avec une sauce de pois et souvent du poisson grillé ou au court-bouillon. Les enfants ne mangent pas de légumes, mais moi j’ai souvent droit à de l’avocat, de la carotte cuite, de la betterave rouge, du concombre ou des tomates. Pas de sauces salades, mais possibilités de Ketchup (ici catchup) ou de mayonnaise (plutôt une sauce mélangée mayonnaise-ketchup). Le week-end, ce sont les plats typiques haïtiens : samedi le bouilli (bouillon fait avec des herbes, des bouts de carottes, de la viande bouillie, de l’igname, de la banane) et le déjeuner dimanche matin une sorte de soupe brune avec des spaguettis et ???.... Enfin, comme le réfrigérateur n’est souvent pas alimeté, il n’y a pas régulièrement de brique de lait, mais nous en faisons en mélangeant de l’eau et de la poudre de lait.
Ce qui m’a fait rire l’autre jour, c’est que les enfants regardent souvent (et moi parfois) le dessin animé « Ratatouille » (un des seuls qu’ils ont) et l’autre jour j’ai vu un magnifique rat traverser la salle à manger…il parait que c’est très courant et parfois on en trouve au premier étage… Je l’appelle donc Ratatouille et cela me change de la mignonne souris noire qui me tenait compagnie aux Philippines ! Il y a aussi quelques belles araignées, mais dans l'ensemble cela va ! 

Enfin, j'ai fini ma cinquième semaine, le dimanche 8 février, en me rendant à la messe (ou plutôt au culte méthodiste si on veut être puriste). Habituellement, le culte dure 2h, mais hier cela a été 3h et sans raison particulière si ce n'est que c'était le premier culte du mois de février. Il y a eu de très nombreux chants, certains par la chorale de l'église, mais deux autres petites chorales sont aussi venues chanter chacune un chant. Le public est invité à chanter de manière régulière tout au long du culte et est accompagné par quelques musiciens (batterie, piano électrique, trompette). On salue toutes les visites (j'ai donc dû aller devant et parler aux paroissiens...), on invite aussi tous ceux qui vont fêter un anniversaire au mois de février (naissance, mariage, etc.) à venir devant pour recevoir une bénédiction. Tous les enfants ont également été appelés pour que le pasteur leur raconte une histoire en créole les encourageant à ne pas répondre à la violence par la violence. Puis, lors de la communion, les gens viennent s'agenouiller devant l'autel par groupe de 30 pour manger du pain (le corps du Christ) et boire un tout petit verre de vin (le sang du Christ). Il a fallu donc environ le passage d'une dizaine de groupes (soit environ 30 minutes) et pendant ce temps toute l'assemblée chante. A chaque fin de chant, tout le monde crie "amen". C'était une cérémonie vivante, car le pasteur et ses deux aides ont été très dynamiques, mais....un peu longue quand même !

Bon je vais m'arrêter pour aujourd'hui avant de vous lasser avec mes longs textes !

Mesi en pil  (merci beaucoup en créole !) pour votre attention !
Bonne continuation à vous !
Amitiés
Ariane

1 commentaire:

  1. coucou ma belle, tu as été ma lecture du matin ! que c'est agréable de te lire . tu es dans un endroit incroyable et je t'admire en cachette, moi qui n'aime pas être en dehors de chez moi et de mes petites habitudes. Tu es sauvée tu as des bananes.....et je suis aussi en plein dedans avec Ratatouille mais c'est pour mon petit Ethan qui adore faire la cuisine.Je pense souvent à toi et pour cette saint Valentin je t'envoie pleins de cœurs de bisous d'amitié

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